Quand j'ai entendu le coup de patin, j'ai eu peur qu'Irène me coupe l'oreille. Je n'ai plus bougé et je l'ai regardé dans la glace. Elle non plus ne bougeait plus. La paire de ciseaux qui prolongeait sa main droite brillait, aiguisée, sous les spots du salon.

Il pleuvait. Le coup de frein avait fait déraper la voiture sur une vingtaine de mètres. Ca n'avait duré que quelques secondes. Un temps incontrôlable où toute fin est permise. J'avais bien sûr imaginé la mienne. Le pied à fond sur la pédale, les roues qui se bloquent, la voiture qui glisse et le bruit de l'impact. Un bruit discret, presque moelleux. Un bruit vivant.

- Je déteste ça, lâcha Irène, dont les yeux étaient mouillés.

Je pensais qu'elle avait été saisie par la soudaineté du glissement. Je lui fis un sourire que je voulais apaisant.

- Moi aussi. Mécanique et absente, elle reprit son travail autour de mon oreille.

- C'est un carrefour dangereux, ici, soupira-t-elle. Rien n'est fait pour diminuer la vitesse.

- Vous savez, même à faible allure…

Irène fit une pause et me fixa étrangement. Son visage avait quelque chose d'attirant. Ce n'était pas le regard de la coiffeuse jugeant son travail puisqu'elle ne regardait pas le contour de mon oreille. C'était un regard plus intime. Un regard qu'elle déposait sur moi.

En moi.

copyright gilles bailly SACD N° 1107-98
back