Alors elle a gueulé que ça allait maintenant, qu'il était complètement givré ce mec là et qu'il fallait qu'il se calme. Ce qu'il n'a pas fait. Elle a levé la tête et le reste de son corps a suivi car elle était arrivée à destination. Elle a cherché un peu d'espoir dans le regard des autres, mais les autres avaient plutôt le regard sous les sièges du métro, à guetter un sac de sport. C'est là que j'aurais dû faire semblant de dormir. Le type n'a fait ni une ni deux, s'est bougé aussi et l'a rejoint devant la porte. Il était dans son dos, griffant sa nuque de son souffle alcoolisé. Il se tenait, rigide, derrière elle. Qui était méchamment bien roulée. Est-ce ce qui a fait que mes jambes se sont tendues, que mon cul s'est levé et que le reste de mon corps a suivi aussi et est venu se placer derrière l'imbécile qui bandait ? Alors que je devais descendre bien plus loin. C'est ça ? Vous voudriez me faire croire ça ? A moi, qui ai toujours rêvé d'être un héros ? Pas un héros stupide, hollywoodien et bodymusclé. Un héros moderne. Un Lancelot de maintenant. Avec son armure briquée au Frameto et ses pensées d'apôtre. Un pur de pur. Vous voudriez me faire croire que c'est ma seule queue qui a dirigé mes mouvements ?

Vous auriez raison.

Bon dieu, ce qu'elle était bien foutue ! Un bolide. Un top-mannequin. Un rêve éveillé. Alors, qu'un branque ose poser ses pattes sur un si joli brin de femme, qu'un guignol comme ce type puisse agacer cette petite (alors que la période se prêtait déjà assez à l'agacement), c'était sans doute trop pour moi. La rame a freiné, les portes se sont ouvertes, et je l'ai prise par le bras. Ses yeux dégoulinaient de gratitude. Par contre, ceux du type lançaient des éclairs. C'était prévisible.

- Il me…

- Je sais, j'ai dit. Allons-y.

J'ai entendu grommeler dans mon dos. C'était pas de la poésie. Bien plus de la rage étouffée. Je venais de lui souffler sa promise. Je venais aussi de me faire un ennemi. La situation était shakespearienne.

- Vous allez où ?

- Par là. Elle montrait le panneau des correspondances.

- Allons-y.

e me répétais, d'accord. Mais c'est parce que je débarquais moi, là dedans. J'étais pas du genre à venger la veuve et l'orphelin habituellement. Chaque chose en son temps. Les actes d'abord. Le discours, ensuite. Laissez-moi le temps.

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gilles bailly copyright SACD N°2109-67
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